Publication de la Métropole Orthodoxe Roumaine d'Europe Occidentale et Méridionale
Revue de spiritualité et d'information orthodoxe
La science, en tant qu’« anatomie » du monde sensible, a étendu de plus en plus ses projets d’exploration : partout dans l’univers, dans le monde environnant, dans les choses et les organismes, mais aussi dans le corps de l’homme. La technologie et les théories actuelles offrent à présent aux sciences un meilleur arsenal, capable de soutenir des expéditions jusqu’aux frontières du monde sensible, pour explorer l’environnement dans lequel nous nous déplaçons et nous vivons, l’espace et le temps, osant jeter un regard spéculatif au-delà des limites de son périmètre, vers l’abîme humain ou vers les origines et la finalité de l’univers. Mais dans l’intention d’élucider ce genre de mystères, la science envahit le champ de la théologie et de la métaphysique. Parfois elle tend à couvrir leurs affirmations édifiantes ; elle vide l’espace de notre vie de contenus édifiants, et l’assiège de descriptions techniques, qui ne peuvent cependant pas indiquer un sens plus élevé, pertinent pour notre vie et notre mouvement dans le monde.
Des mathématiques au monde empirique – un pont mystérieux
Il y a beaucoup de formulations qui peuvent couvrir les caractéristiques d’une théorie scientifique. Nous invoquons ici l’une d’entre elles, simple et illustrative, avec seulement trois composants majeurs : (a) un ensemble de données recueillies de la réalité, (b) une structure mathématique et (c) une sorte de « pont » interprétatif, qui relie (a) et (b). Cette formulation concernant la structure d’une théorie scientifique met en exergue au moins deux aspects. D’un côté, beaucoup de débats dans la philosophie de la science, surtout dans la philosophie des mathématiques et de la physique, visent ce « pont » interprétatif, à savoir la manière dont on arrive des concepts mathématiques aux données empiriques1. D’un autre côté, se concentrant sur les descriptions mathématiques qui « revêtent » le monde empirique, les analyses ne peuvent plus éviter une autre question, plus difficile encore : quelle est la nature des concepts ?
Il est assez facile de voir que l’élaboration d’une réponse à cette dernière question est très difficile, parce qu’elle vise, inévitablement, la « source » des mathématiques, àsavoir l’esprit humain, le« lieu» oùse forgent les notions et les concepts de ce langage abstrait. Aujourd’hui on sait bien que chaque entreprise qui a pour but l’analyse des processus mentaux et plus particulièrement des concepts mathématiques, qu’elle se déroule dans le périmètre de la métaphysique ou de la philosophie de l’esprit, ou qu’elle soit abordée sur un terrain réductionniste, comme celui des neurosciences et de la psychologie cognitive, par la sollicitation de preuves d’imagerie des activités cérébrales, bref de quelque manière qu’elle soit abordée, la question ouvre un vaste champ, rempli de défis et de questions difficiles.Pourtant, même si la nature du langage scientifique ne cesse pas de générer des polémiques, les effets des représentations scientifiques concernant le monde et l’utilisation des technologies à grande échelle ont rassemblé beaucoup d’opinions convergentes.
La relativité restreinte et générale et les résultats de la mécanique quantique ont produit l’une des révolutions les plus profondes dans la pensée scientifique de l’humanité. Il suffit de mentionner ici les conséquences de leurs résultats dans le plan de la cosmologie, dans l’élaboration de nouveaux modèles d’univers. Les technologies ont rendu possible le recueil de données qui ont contribué à abandonner l’idée de l’univers statique, et ont introduit dans la discussion l’expansion, à savoir le modèle cosmologique du Big Bang, et le modèle de la création continue, proposé par Fred Hoyle. Aujourd’hui, le modèle cosmologique du Big Bang jouit d’une grande reconnaissance et il est enseigné dans les grandes universités du monde, dans le cadre des cours de cosmologie, en tant que modèle de travail qui explique beaucoup d’aspects concernant la structure et l’évolution de l’univers, et qui concorde avec une série de données observationnelles.
Un tableau descriptif fragmenté et encore plus de défis
Malgré cela, les explorations de la cosmologie ne sont pas finies. Une vaste série de thématiques, qui visent un horizon plus large que le monde environnant, sont restées non résolues.
D’un côté, on constate inévitablement que le tableau composé des descriptions scientifiques du monde est fragmenté. L’une de ses grandes et profondes fissures séparent l’image offerte par les théories du microcosme de celle du macrocosme. Plus précisément, la relativité restreinte et la mécanique quantique ont pu être introduites dans le cadre du même modèle (le Modèle Standard) – offrant une bonne description quant à la plupart des constituants du monde visible, par l’intermédiaire des particules élémentaires et des interactions électromagnétiques, nucléaire forte et nucléaire faible. Mais la RelativitéGénérale, même si elle offre une bonne description pour la gravitation, éprouvéepar des tests, ne rejoint aucunement le Modèle Standard, que ce soit sur papier, par le calcul théorique, ou dans le périmètre du laboratoire, par voie expérimentale.
De même, dans le domaine du microcosme, de nombreux résultats ont mis en avant de nouvelles découvertes concernant les constituants ultimes de la matière. D’un côté, l’épopée commencée des siècles auparavant, concernant l’existence des atomes, a frayé son chemin vers les constituants de plus en plus minuscules, et les découvertes ont été surprenantes. L’existence des quanta d’énergie, dans la structure même du champ, là où les représentations classiques nous avaient habitués à une structure ondulatoire (question proposée par Planck 1899), le comportement duel onde-corpuscule de tous les constituants (généralisation opérée par Louis de Broglie), mais aussi le principe d’incertitude de Heisenberg sont quelques résultats qui ont constitué et constituent encore des raisons de débat dans le champ de l’épistémologie et de la philosophie de la science. D’autre part, le succès du ModèleStandard, qui a prouvé que tout le monde sensible est constitué d’une série de particules élémentaires, a encouragé de plus en plus cette approche « disséquante », « anatomique » du monde, telle qu’elle est formulée par le philosophe Ortega y Gasset. L’»incision» de la physique dans la matière du monde est devenue si profonde, que l’on prépare à présent la «dissection» même de l’espace-temps. En forçant la cohabitation de la mécanique quantique et de la théorie de la gravitation, par des constructions mathématiques d’une complexité élevée, on obtient des perspectives complètement nouvelles, jamais rencontrées auparavant, sur l’espace et le temps. Ayant pour but d’unifier les deux fragments du tableau du monde physique, à savoir le Modèle Standard et la Théorie de la Gravitation, les physiciens en sont arrivés à explorer, à des échelles de plus en plus réduites, des constructions hypothétiques par lesquelles l’espace et le temps sont substantialisés... La physique s’approche d’une représentation « anatomique » de l’espace-temps, comme si ceux-ci étaient composés d’une structure de base, d’unités élémentaires d’espace-temps, comme d’insignifiantes cordes vibrantes....
Enfin, dans le plan des observations cosmologiques, d’autres événements sont survenus. Des données recueillies à des distances de plus en plus grandes ont forcé les astrophysiciens à postuler l’existence de la matière noire (dark matter), parce que la théorie de la gravitation ne pouvait pas expliquer le mouvement beaucoup trop rapide des étoiles dans les galaxies. En 1998, les données des observations effectuées sur les supernovas de la première classe a contraint à nouveau les cosmologues à prendre en compte une autre hypothèse. Puisque les signaux de ces astres suggéraient que l’univers se trouve, depuis presque 7 milliards d’années, en expansion accélérée, on a postulé l’existence d’une « source » qui « alimente » le mouvement accéléré, àsavoir l’énergie noire (dark energy, avec les variantes hypothétiques de phantom energy et de quintessence).
La déconstruction du monde par des modèles cosmologiques aléatoires
Guidée par toutes ces données et théories, l’exploration cosmologique s’est étendue et s’est diversifiée énormément. Àprésent, de nombreux modèles cosmologiques sont en cours d’élaboration, essayant de saisir, d’un trait, la multitude de théories et de données observationnelles nouvelles, dans l’idée d’en faire une seule description cohérente. Pour quelqu’un qui fait une lecture sommaire de ces modèles en élaboration, il est surprenant de constater les multiples visages que l’univers et le monde où nous vivons ont reçus. Dans l’effort téméraire de dévoiler « la carte d’identité du cosmos », dans la course folle à la découverte de son origine et de sa finalité, tout l’arsenal théorique dont disposent les mathématiques a été mis en œuvre. Beaucoup de concepts abstraits ont été introduits dans ce jeu, «façonnés» pour les conditions fortes imposées par les problèmes théoriques, des concepts capables de se frayer un chemin dans le labyrinthe compliqué de données observationnelles... On met en avant beaucoup d’hypothèses, concernant des processus aléatoires, des cyclicités cosmiques d’une étendue inimaginable, jusqu’à des milliards de milliards d’années, des méta-univers de dimensions inexplorables, des multivers en nombre infini, des scénarios inflationnistes avec des expansions fantastiques, ultra-accélérées, dans des unités infimes de temps, impossibles à imaginer...
Par tout cela, l’univers immense où nous vivons, avec son ordre et ses symétries, profondément fixés dans l’armature des principes physiques, en arrive à acquérir un statut dérisoire... Le monde dévoilé aujourd’hui par les télescopes, avec ses splendeurs saisissables par l’esprit humain ne suggère plus aucun sens, puisque ce n’est qu’un simple cas particulier, une bulle aléatoire d’univers, dans une série infinie de productions cosmiques continues, d’une diversité qui dépasse tout pouvoir d’imagination de l’esprit humain...
Le potentiel édifiant du monde
C’est le moment de dire pourquoi nous mentionnons tout ceci, dans le cadre de cette rubrique. Dans une excellente étude concernant l’impact de la révolution copernicienne sur la culture européenne, Jacob Taubes affirme que l’héliocentrisme, qui à première vue n’est qu’une théorie qui décrit la disposition et le mouvement du soleil et des planètes du système solaire, a eu un effet beaucoup plus étendu ; à savoir une mutation fondamentale dans l’architecture cosmologique imprimée dans les représentations sur le monde qui avaient cours à l’époque. L’héliocentrisme a disloqué le rapport classique de l’homme au monde. « La révolution copernicienne n’a pas seulement renversé une vieille théorie astronomique, mais a aussi détruit la situation de l’homme dans le cosmos »2. Ce que soutien en fait Taubes, comme il le dit lui-même, ce n’est pas que la théorie astronomique causerait un changement d’attitude de l’homme par rapport au plan naturel et divin, mais que ces modifications expriment plutôt un tel changement3.
Ce n’est pas le lieu pour invoquer et analyser les moments importants de l’histoire des découvertes pertinentes dans le champ de la cosmologie, mais les changements de paradigme des dernièresdécennies concernant les représentations de l’univers oùnous vivons, pourraient suggérer des mutations encore plus profondes que celles produites par la révolution copernicienne.
Certes, il faut dire tout d’abord que toutes ces hypothèses cosmologiques méritent d’être créditées à des degrés divers. Ensuite, il est nécessaire de mentionner que toutes ces hypothèses cosmologiques, tout comme les théories valides sur lesquelles elles reposent, se réfèrent directement ou indirectement à l’espace-temps, aux constituants de la matière et à la structure et à l’évolution de l’univers, questions qui incluent aussi, d’une certaine façon, le monde où nous vivons. De même, il est important de dire que tous ces résultats amènent aussi dans la discussion des aspects plus profonds que la constitution et l’évolution des structures cosmiques, à savoir l’unité du monde physique et la beauté des descriptions mathématiques, tout comme la compatibilité remarquable entre les théories mathématiques et la réalité.
L’esthétique des théories scientifiques et l’alliance secrète entre la beauté et la vérité
Il suffit de mentionner ici le fait que, dans ce lien entre l’esthétique et les descriptions scientifiques des phénomènes,vérifiéde manière répétée, pourrait se cacher une alliance plus profonde, entre la beauté et la vérité. Ceci parce que, partant des situations concrètes de la physique, où les chercheurs ont découvert certaines lois – guidés seulement par des principes esthétiques, par la conviction que les descriptions de la nature doivent être belles – on arrive inévitablement à la question s’il est raisonnable d’en appeler à l’esthétique lorsque nous sommes à la recherche de la vérité scientifique. Certains chercheurs sont convaincus que la réponse est affirmative, et ont aussi assez de preuves à l’appui. Pour d’autres auteurs, le fait que l’esthétique (que l’on considère habituellement comme appartenant à la sphère du subjectif) contribue à la découverte des lois de la nature (considérées, le plus souvent, comme relevant du domaine de l’objectivité), rapproche en quelque sorte la science de l’art4 !
Par conséquent, avec ce tableau encourageant, il y a des voix qui constatent que toutes les descriptions scientifiques du monde sont perfectibles. Les théories sur l’univers s’améliorent en permanence, à mesure que l’on recueille de plus en plus de données observables, de sorte que leur « ajustement » n’en finit jamais. Dans une formulation plus tranchante, la collection des théories scientifiques ne semble pas s’orienter vers « un résultat déterminé qui offre à la limite une connaissance complète de l’Univers »5, ceci aussi parce que, à bien d’égards, une théorie scientifique limite, invariable, vers laquelle convergent en général tous les efforts de la connaissance, pourrait ne pas exister6.
Les descriptions explicatives des sciences et la faim de sens
Cette situation, des espérances que nous mettons, à tort ou à raison, dans les descriptions scientifiques, s’éclaire encore plus si nous tenons compte des fins de l’exploration du monde sensible, telles qu’on les voit de l’intérieur de l’acte scientifique. Les théories scientifiques ont en fait trois fins, même si dans certaines situations celles-ci ne sont pas faciles à distinguer : l’adéquation expérimentale, l’explication (formelle) et la compréhension. L’explication vise un enchaînement logique, « une explication qui appelle à la déduction logique d’un résultat d’une hypothèse ou loi quelconque qui a déjà été acceptée », tandis que la compréhension des phénomènes physiques implique des « mécanismes et des processus physiques représentables d’une manière picturale ou plastique », qui arrivent donc plus près des repères des expériences directes7, àtravers une« expression » compréhensible. Par exemple, en ce qui concerne la mécanique quantique, la théorie, avec ses aspects contre-intuitifs, n’offre pas assez d’éléments qui rendent possible la compréhension. Le professeur Cushing écrit : « Offrir une compréhension du schéma explicatif (formel) de la mécanique quantique est un but très désirable, poursuivi surtout par les réalistes scientifiques(souligné par nous), qui pensent que les théories scientifiques réussies doivent offrir une vision fiable même sur les entités du microcosme »8. Pourtant, la question ne satisfait pas, puisqu’il existe un mouvement de l’esprit humain déterminé par le besoin de comprendre les phénomènes... « Il semble que désirer quelque chose de plus, au-delà de la simple explication formelle, fait partie de la nature humaine... »9. En fin de compte, on pourrait dire que la situation du chercheur qui veut apaiser sa faim existentielle de sens par les réponses des sciences, est perçue correctement par la science, tout comme on l’a signalé depuis plus longtemps dans la philosophie. Husserl affirmait, par exemple, dans les années ’30, que « les problèmes que [la science] exclut par principe sont justement les problèmes les plus brûlants de notre malheureuse époque, pour une humanité abandonnée aux caprices du destin ; ce sont des problèmes qui visent le sens ou l’absence de sens de toute l’existence humaine »10. De même, Paul Ricoeur écrivait dans les années60 qu’au-delà de toutes les questions de l’existence « se pose le problème du sens et du non-sens. (...). Les hommes ont faim de justice certes, ils ont faim certainement d’amour, (...) mais encore plus de signification »11.
Dans une perspective théologique, tout ceci peut être compris à la lumière d’un plan plus élevé, le plan spirituel de la vie. Le monde ainsi que les hommes « voyageurs » à travers lui, aimant la beauté, assoiffés en dernière instance de vérité, et souhaitant en fin de compte l’immortalité, sont l’Œuvrede Dieu. Plus encore, l’homme a été créé selon l’image de Dieu, le Christ, Qui est la Voie, la Vérité et la Vie, Qui a créé le monde comme un joyau rempli de beauté, qu’Il a offert à l’homme justement pour que sa beauté et sa compatibilité avec Lui le guide vers Sa recherche. C’est pourquoi, les théories scientifiques, avec tous leurs efforts de compréhension, pourraient être vues comme des métaphores qui expriment à la fois « le désir humain de connaître l’univers »12, mais aussi les « limites de la raison scientifique », comme des situations données qui ne permettent pas d’élucider le mystère « en tant que réalité fondamentale de l’existence »13.
Diacre Adrian-Sorin Mihalache
Notes :
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