Ajouté le: 20 Mars 2022 L'heure: 15:14

Peut-on voir ce qui est au-delà de la vision ?

La foi ouvre le ciel invisible des choses divines

La perception des choses du monde sensible et de leurs sens fait partie de la vie habituelle. De manière naturelle, et sans y réfléchir, nous voyons et nous entendons, nous touchons, nous mesurons et nous pesons des fragments concrets de la réalité qui nous entoure. Cette réception du monde est souvent continuée à travers une exploration scientifique profonde, des technologies adéquates qui nous dévoilent la structure miraculeuse des choses, leur rationalité intime, les lois qui les gouvernent. Mais un autre fait miraculeux passe inaperçu dans le périple de l’homme à travers le monde, dans l’épopée de sa perception et de la description des beautés du monde : il s’agit de la possibilité même de percevoir le monde et de comprendre sa rationalité.

Oui, la perception et la compréhension du monde arrivent d’une manière miraculeuse par l’union des sens du corps, capable de recevoir ce qui est sensible, avec l’esprit, qui est capable de voir leur sens. Nous avons affaire, en fait, à l’équipement sensoriel et doué de certaines capacités de compréhension qui rend l’homme ouvert à la fois au territoire des choses sensibles, qui appartiennent au monde créé, et aux sens intelligibles et invisibles qui dépassent la sensibilité.

Au-delà du monde miraculeux et de sa compréhension miraculeuse

Mais les saints Pères n’ont pas étendu les considérations de ce type au-delà de l’exercice de la perception et de la compréhension humaine concernant le monde sensible vers quelque chose de plus haut, qui dépasse le miracle de la perception et de la compréhension de l’univers sensible. Par l’œuvre du Saint Esprit, disent-ils, ces capacités humaines de perception et de compréhension arrivent à voir ce qui est divin, ce qui dépasse la compréhension. Tout comme l’intelligence unie ineffablement aux sens peut voir ce qui est soumis aux sens, écrit Saint Grégoire Palamas, et « comme la perception se représente symboliquement et de manière sensible ce qui est intelligible (connu par l’intelligence) une fois arrivée à leur perception par l’union avec l’intelligence, de même toutes les deux (la perception et l’intelligence), unies à l’Esprit, vont voir la lumière invisible de manière spirituelle, ou plus précisément vont vivre ensemble, une fois divinisées, de manière éternelle avec elle »1.

Cette observation est aussi reprise ailleurs, où nous retrouvons à nouveau, soulignée avec la même force, la possibilité que l’homme, pénétré par la force de la grâce divine, saisisse par ces sens et par le pouvoir de compréhension de l’intelligence, ce qui dépasse la perception et l’intelligence ! L’intelligence, trouvons-nous ailleurs, « perçoit (saisit) une lumière, et la perception une autre. La perception perçoit (saisit) la lumière soumise aux sens, qui montre les choses soumises aux sens comme soumises aux sens. Et la lumière de l’intelligence est la connaissance qui se trouve dans la compréhension. Par conséquent, la vision et l’intelligence ne perçoivent (saisissent) pas la même lumière ; mais seulement en tant qu’elles travaillent chacune selon sa nature et dans ce qui est naturel. Mais lorsqu’elles sont imprégnées d’une grâce et d’une force spirituelle au-dessus de la nature, ceux qui en sont dignes voient aussi bien avec les sens qu’avec l’intelligence ce qui est au-dessus de toute perception et de toute intelligence »2.

Mais cette perception de ce qui se situe au-delà de la compréhension est possible seulement par la foi. Saint Grégoire Palamas, en accord avec toute la tradition patristique, affirme que seulement par la foi l’homme arrive à ressentir et à voir dans le monde et dans la vie l’œuvre de Dieu. Mais la foi n’est pas fondée sur des preuves expérimentales, comme c’est le cas de la science, et ne s’accroit pas non plus par des arguments rationnels, comme c’est le cas de la réflexion philosophique. La foi est une forme de connaissance qui se différencie, dans le fond et dans la compréhension, de l’exercice de la raison humaine tel qu’il est élaboré dans la démarche de l’exploration scientifique ou dans la réflexion philosophique.

La vision au-delà de la compréhension, selon la formule de Saint Grégoire Palamas, est celle qui rend l’homme capable de ressentir dans les paroles du Verbe, reçues par la foi, la force même de Sa personne, telle qu’elle se révèle dans la relation de l’homme à Lui. De cette façon, la foi ouvre la personne vers une œuvre qui dépasse la nature, et s’accomplit dans son intériorité, par la grâce de Dieu qui élargit les forces de compréhension humaines, à travers un certain sens spirituel.

Les passions altèrent la réception et la compréhension du monde

Tenant compte de l’œuvre de la grâce dans l’homme, comme réalité vivante, indispensable à la foi, nous comprenons plus facilement pourquoi la foi est liée à la vie, par l’accomplissement des commandements et par la cultivation des vertus. Par cette œuvre engagée, la foi illumine la raison et la manière de voir le monde et ses choses. Cette observation est habituelle dans le domaine de la théologie empirique. Voici par exemple, ce que dit Saint Antoine le Grand : “Le corps voit à travers les yeux ; et l’âme à travers l’intelligence. Et tout comme le corps sans yeux est aveugle et ne voit pas le soleil qui éclaire toute la terre et la mer, et ne peut pas jouir de la lumière, de même l’âme, si elle n’a pas une bonne intelligence et une vie pieuse, est aveugle et ne comprend pas Dieu“3.

C’est pourquoi l’état passionnel ou purifié de l’âme organise de manière spécifique la perception de la réalité, et de façon plus large, la manière de voir et de se rapporter à la réalité, et cela parce que “l’intelligence épouse la forme de chaque chose et se colore selon l’apparence de la chose qu’elle connaît”4.

D’un côté, l’intelligence est tirée vers le bas par les sens physiques5, si leur œuvre n’est pas délimitée par la raison. Et dans cette situation, les passions confèrent une réception distordue, une compréhension erronée et un usage contraire à la nature, irrationnel, du monde. En revanche, l’inverse de cette situation, à savoir la purification des passions, élargit, étend les capacités de compréhension de l’homme. Pour celui qui est pur, affirme Saint Antoine le Grand, rien n’est incompréhensible”6. Chez Saint Marc l’Ascète, nous trouvons un diagnostic encore plus clair, concernant les causes pour lesquelles les capacités de compréhension de l’homme (et surtout l’intelligence) sont affectées. Il s’agit de l’amour de l’argent, de la vaine gloire et du plaisir7. Quelque chose de similaire est formulé par Élie l’Ecdique : “Lorsque tu vas libérer ton intelligence du plaisir (la volupté) des corps, de l’argent et des nourritures, tout ce que tu feras sera considéré comme un pur don, apporté à Dieu, et on te donnera en échange de pouvoir ouvrir tes yeux de ton cœur et regarder avec clarté les raisons de Dieu qui y sont inscrites”8. Mais l’intelligence ne doit pas combattre les sens, ni s’en détacher. En fait, Saint Syméon le Nouveau Théologien affirme que “l’intelligence sans sens ne montre aucunement son œuvre et les sens non plus ne montrent la leur sans l’intelligence9”.

Tant qu’elle est attachée aux choses limitées du monde sensible, l’intelligence est fragmentée entre celles-ci. Mais selon sa nature, nous dit un autre auteur philocalique, elle est simple, “parce que Dieu aussi est simple ”. La raison cependant, selon le même auteur, a la vocation de mettre en balance les expériences des sens, plus précisément les données qui en proviennent, pour qu’elles ne produisent aucun tort à l’intelligence. Il ne s’agit pas d’un rejet indifférencié des choses du monde sensible, mais de l‘utilisation sobre et d’une appréciation adéquate de celles-ci. Lorsque la raison “juge intelligemment” l’œuvre des sens, sans les rendre “plus émoussés qu’il ne le faut” et “sans couvrir ou mépriser les beautés de ce qui est soumis aux sens”, mais aussi sans “les vanter bassement et donc sans mettre l’autorité de l’intelligence sous leur écoute avec indifférence”, lorsque, enfin, la raison donne avec sagesse à chacun ce qui lui appartient, “l’intelligence devient tout de suite unitaire et simple, et sa nature est rétablie10”.

Il y a donc une relation entre la vision dont est capable l’intelligence et la manière passionnelle ou purifiée dont nous vivons. Ceci lie l’accomplissement des commandements, qui sont l’expression vivante de la foi, à la capacité de compréhension de l’homme. L’accomplissement des commandements, le plus souvent compris comme étant l’expression vivante de la foi, libère l’homme des passions, et des compréhensions passionnelles des choses et de leur usage égoïste, en élargissant à la fois ses capacités de compréhension. Saint Maxime le Confesseur dit ceci : “En contraignant la colère et la concupiscence, la raison œuvre les vertus. Et l’intelligence se rendant compte des raisons des choses, acquiert leur connaissance irréprochable. Par conséquent, lorsque la raison, après avoir chassé ce qui s’y oppose, trouve ce qui est digne à aimer par la nature, et l’intelligence, après être passée sur ce qui peut être connu, saisit la Cause des choses, celle qui est au-delà de la science et de la connaissance, c’est alors qu’arrive l’expérience de la divinisation par la grâce”11.

Telle est la force de la foi des saints dans cette unité de la personne humaine, qui est affectée par les pensées et les actions dans toutes ses capacités, qui s’imprègnent dans leur manifestation et leur finesse de la manière dont tout le reste est utilisé. Et surtout, les Pères relient l’utilisation de l’intelligence avec l’œuvre des vertus. Voici l’expression plus directe du lien entre la vision, la compréhension et l’œuvre des vertus. “Les forces compréhensives de l’intelligence sont quatre : la sagesse, l’agilité, la compréhension et la vaillance. Celui qui unit tout cela aux quatre vertus compréhensives de l’âme en associant à la sagesse de l’intelligence la sobriété de l’âme ; à l’agilité, la raison ; à la compréhension, la justice ; à la vaillance le courage, s’est forgé doublement un char de feu qui le conduit vers le ciel”12. Ailleurs, nous découvrons une appréciation similaire : “Trois sont les vertus qui confèrent toujours la lumière à l’intelligence : ne pas voir la ruse (la méchanceté) d’un homme, faire le bien à celui qui vous maltraite et supporter sans se troubler ce qui arrive. Ces trois vertus en engendrent trois autres plus grandes encore. Le fait de ne pas voir la ruse (la méchanceté) d’un homme engendre l’amour, faire le bien à celui qui vous maltraite apporte la paix et le fait de supporter ce qui arrive sans trouble apporte la douceur” (le bienheureux Isaïe l’Ascète, parole.7, chap.3, in Filocalia, vol. XII, p. 78)

La matière sur la balance de l’esprit

La restauration de l’œuvre de l’intelligence, selon l’observation du père Dumitru Stăniloae, sa simplicité sans bornes, ne se réalisent pas par le mépris des choses sensibles, mais au contraire, “en découvrant la beauté unitaire en tout, en dépassant ce qui les sépare”. Ici nous trouvons une vision exprimée clairement aussi par Saint Maxime le Confesseur, selon qui le chemin vers la perfection, vers la sainteté, passe par la contemplation du monde.

En fait, selon la formulation limpide de Saint Pierre le Damascène, tout est fait avec la vocation de servir l’homme pour sa croissance dans la vertu et son rapprochement de Dieu. Il considère qu’une vie bonne suppose que l’homme “tourne son intelligence tantôt vers la contemplation des choses sensibles, tantôt vers la connaissance des choses intelligibles et de ce qui n’a pas de visage ; et encore, tantôt vers quelque signification de l’Écriture, tantôt vers la prière pure. Et le corps, tantôt vers la lecture, tantôt vers la prière pure, tantôt vers les larmes pour soi-même ou pour quelqu’un d’autre par la compassion en Dieu, tantôt vers le travail pour aider quelqu’un qui se trouve dans l’impuissance spirituelle ou corporelle”13. Tout cela parce que, comme l’affirme aussi le père Stăniloae, l’esprit est celui qui transfigure l’œuvre des sens, et ne s’en sépare pas. L’homme est une unité d’âme et de corps dans ses actes, ses pensées et ses sentiments”14. Plus encore, pour l’homme spirituel, l’intelligence et les sens deviennent “une unité intelligente et un plan plus élevé”, prouvant que l’homme peut connaître “comme un être total les réalités supérieures”15.

On peut ainsi comprendre pourquoi souvent la foi est très étroitement liée aux commandements de Dieu. Saint Grégoire le Sinaïte par exemple, rapproche les commandements et la foi jusqu’à l’identification. C’est en cela que réside le caractère vivant de la connaissance par la foi, qui consiste en attitudes, en forces et œuvres humaines mises au service de la foi. “Prends comme une loi immédiate des commandements la foi qui œuvre dans le cœur. Car c’est de cette foi que surgit tout commandement et elle produit l’illumination des âmes16”.

La vie et la connaissance par la foi

En accomplissant les commandements, en cultivant les vertus, dans une vie guidée de plus en plus et transfigurée par la grâce, l’homme réorganise tout l’espace et le temps du monde, avec les choses et les situations de la vie concrète. La foi arrive à donner une autre signification à toute la vie humaine, et à réorganiser le champ des actions humaines, en remplissant de sens chaque geste, chaque parole. « Tout est possible à celui qui croit » (Marc 9, 23). Car la foi est imputée à la justice (Romains 4, 9). « Car le Christ est la fin de la loi » (Romains 10, 4). La foi accomplit la vie de l’homme, et amène l’homme à l’état de la perfection. Elle devient pour celui qui croit “la force qui nous fait mourir pour le Christ pour l’amour de Son commandement et à croire que cette mort est la cause de la vie. Elle nous fait considérer la pauvreté comme richesse, la petitesse et l’humiliation comme gloire et honneur véritables ; et lorsque nous n’avons rien, croyons que nous possédons toute chose (2 Corinthiens 6, 10), ou pour mieux dire que nous avons acquis la richesse de la connaissance en Christ, celle qui est insaisissable (Éphésiens 3, 8). Elle nous fait regarder tout ce qui est visible comme de la glaise et de la fumée”17.

Par conséquent, ceux qui cherchent Dieu par la voie exclusive de la raison humaine, cherchant quelque chose, ne trouveront rien. “Dieu, affirme Saint Syméon le Nouveau Théologien, n’est nulle part pour ceux qui regardent avec des yeux de chair, car Il est invisible”18. “Ne cherche pas par la raison ce qu’est Dieu et où Il est. Car Il est au-delà de l’être et insaisissable par l’espace, se trouvant plus haut que tout, dit Théognoste”19. En fait, Dieu peut être saisi par la foi vivante et active, car Il Se cache dans Ses commandements, et “ceux qui Le cherchent Le trouvent à la mesure de leur accomplissement”20, et à mesure qu’ils se purifient, ils deviennent dignes de l’illumination21. De sorte que, pour ceux qui arrivent à comprendre spirituellement, Dieu se découvre comme étant partout ; “car Il est présent, étant en tout et en dehors de tout. Il est en tout et proche de ceux qui Le craignent. (Psaume 84,10), mais le salut est loin des pécheurs”22.

Diacre Adrian Sorin Mihalache

Notes :


1. Saint Grégoire Palamas, Despre cunoştinţa naturală [Sur la connaissance naturelle], chap. 50, in Filocalia, vol. VII.
2. Idem, Tomul Aghioritic [Le Tome Agioritique], in Filocalia, vol. VII.
3. Saint Antoine le Grand, Învăţături despre viaţa morală a oamenilor şi despre buna purtare [Enseignements sur la vie morale des hommes et sur le bon comportement], chap. 118, in Filocalia, vol. I.
4. Pierre le Damascène, Învăţături duhovniceşti [Enseignements spirituels], in Filocalia, vol. V, p. 100.
5. « Ferme les sens dans la cité de la tranquillité, afin qu’ils n’attirent pas l’intelligence vers leur concupiscence ». (Thalassios le Lybien, Despre dragoste,înfrânare şi petrecerea cea după minte [Sur l’amour, la sobriété et la vie de l’intelligence], deuxième centurie, chap. 10, in Filocalia, vol. IV).
6Op. cit., chap. 106, in Filocalia, vol. I.
7. Marc l’Ascète, Despre legea duhovnicească [Sur la loi spirituelle], chap. 101, in Filocalia, vol. I.
8. Élie l’Ecdique, Culegere din sentinţele înţelepţilor [Recueil des sentences des sages], chap. 119, in Filocalia, vol. IV.
9. Saint Syméon le Nouveau Théologien, Cele 225 de capete teologice şi practice [Les 225 chapitres théologiques et pratiques], chap. 34, in Filocalia., vol. VI.
10. Calliste le Katafygiote, Despre unirea dumnezeiască şi viaţa contemplativă [Sur l’unité divine et la vie contempative], chap. 87, in Filocalia, vol. VIII.
11.Saint Maxime le Confesseur, Răspunsuri către Talasie [Réponses à Thalassios], sc. 7, réponse 22, in Filocalia, vol. III.
12. Saint Nicétas Stéth, Cele 300 de capete despre făptuire, despre fire şi despre cunoştinţă [Les 300 chapitres sur l’action, la nature et la connaissance], première centurie, chap.12, in Filocalia, vol. VI.
13. Pierre le Damascène, op. cit., vol. V.
14. Note 35, in Saint Syméon le Nouveau Théologien, op. cit..
15. Ibidem.
16. Saint Grégoire le Sinaïte, Capete după Acrostih [Chapitres selon l’Acrostiche], chap. 24, in Filocalia, vol. VII.
17. Saint Syméon le Nouveau Théologien, op. cit., chap. 10.
18Ibidem, chap. 1.
19. Théognoste, Despre făptuire, contemplaţie şi preoţie [Sur l’action, la contemplation et la prêtrise], chap. 9, in Filocalia, vol. IV.
20. Marc l’Ascète, op. cit., chap. 190.
21. Théognoste, op. cit., chap. 9.
22. Saint Syméon le Nouveau Théologien, op. cit., chap. 1.

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