Ajouté le: 22 Octobre 2020 L'heure: 15:14

Les neurosciences et l’expérience de la vie spirituelle chrétienne (2)

Valences thérapeutiques de la relation interpersonnelle

Durant les dernières décennies, sont apparues de plus en plus de préoccupations qui explorent l’état de bien-être et le lien entre celui-ci et l’état de santé. Nous savons aujourd’hui beaucoup plus sur chacun de ces deux aspects essentiels de la vie, mais aussi sur leur rapport.

Certes, l’état de santé n’est pas uniquement déterminé, à long terme, que par le milieu environnant et l’expérience des premières années de vie. En général, la manière dont nous entendons nos relations avec les autres et avec nous-mêmes représente un facteur de prédiction très important pour la santé ou la maladie1. Par ailleurs, nous devons dire que les habitudes de vie n’ont pas seulement un impact physiologique à long terme. Il y a bien sûr aussi les empreintes immédiates, qui sont au moins aussi importantes. Les gestes que nous faisons, les états d’âme que nous ressentons plus souvent mettent une empreinte de plus en plus forte sur notre état d’esprit, sur notre disposition générale. Ce fait est parlant, dans une perspective orthodoxe, puisque l’enseignement de la tradition orthodoxe affirme que la racine de la vie du corps se trouve dans l’âme2, raison pour laquelle tout ce qui arrive dans l’âme se répercute sur le corps. Nous pouvons ainsi comprendre ce qu’indiquent aussi les neurosciences à ce jour, àsavoir quàchaqueémotion correspond une certaine biochimie qui simprime dans le corps, un régime distinct de fonctionnement du corps, qui se définit et s’installe de mieux en mieux dans la physiologie, dans les mécanismes corporels, à mesure qu’un état émotionnel, une certaine conduite intérieure, une certaine réaction ponctuelle ou un certain comportement sont vécus de plus en plus souvent.

Petit à petit, et comme conséquence de chaque état émotionnel plus prégnant ou plus prolongé, s’impriment en nous des dispositions, des états d’esprit, des habitudes qui guident de manière de plus en plus étroite les réactions émotionnelles et les patrons cognitifs, habitudes à travers lesquelles nous recevons et nous jugeons le monde. Un certain style émotionnel, un certain profil, marqué plus ou moins par la joie ou par l’irascibilité, par la douceur ou la tristesse, la bonté ou la violence, laissent des traces de plus en plus profondes dans notre état de fond. La réflexion théologique a surpris cet aspect dans les situations des actions humaines qui se déroulent dans le monde. L’homme, écrivait le père Dumitru Stăniloae, travaillant dans le monde et accomplissant des choses et des œuvres par ses forces et avec la matière du monde, se forge lui-même. Son œuvre dans le monde, comme exercice ascétique et éthique de ses forces au service de ses semblables ou contre eux, se répercute aussi sur son âme, dans la manière de voir et de ressentir la réalité, les choses, les semblables et Dieu3.

La générosité et la compassion peuvent générer un état de bien-être

Enfin, pour souligner l’importance de la vie spirituelle pour la consolidation de l’état de bien-être et pour la préservation de la santé, il est également opportun de mentionner ici les résultats qui concernent la capacité d’être content comme suite aux expériences simples de la vie4. Cette particularité relève, selon certains auteurs, de l’intelligence spirituelle. Àce propos, d’autres études montrent que ceux qui donnent quelque chose à des semblables qui se trouvent dans le besoin, même s’ils ont un petit salaire, ont à la fin de la journée un meilleur état que ceux qui dépensent pour leur propre intérêt5. Les personnes généreuses sont plus épargnées par les maladies6, la générosité entraînant un sentiment, un état apparenté à celui d’une vie épanouie. Les gens se sentent mieux s’ils ont fait eux-mêmes un acte de charité, parce que le lien entre la personne charitable et celle qui est dans le besoin transforme les bonnes actions en bons sentiments. La relation directe entre le donateur et le bénéficiaire augmente la « récompense émotionnelle » de l’acte de charité7. Plus généralement, ayant comme effet un état de bien-être, la générosité apporte aussi des bénéfices organisationnels, car la bonté et l’entraide augmentent la cohésion des équipes de travail8. Enfin, les personnes généreuses, ayant un état de bien-être plus prégnant, sont plus productives au travail et sont de meilleurs citoyens, plus responsables sur le plan de la communauté9.

Nous concluons cette sommaire mise en évidence des résultats suggérant l’importance des préoccupations spirituelles pour la préservation de la santé et la cultivation de l’état de bien-être, en mentionnant une étude qui concerne la vie spirituelle des enfants de 8-12 ans, qui prouvent par cela une capacité accrue de développer des relations de qualité avec les enfants de leur âge, mais aussi une disponibilité pour comprendre les valeurs de leur propre vie10.

L’attachement interpersonnel et la contemplation de la nature peuvent avoir une influence bénéfique sur l’état de santé

Toutes ces situations de vie qui existent dans le contexte plus large du monde d’aujourd’hui entravent les efforts qui poursuivent l’édification de la vie.

Il a été prouvé que le fait de se toucher est particulièrement important du point de vue médical. Certaines études, par exemple, montrent que l’attention détermine des effets dans l’axe hypotalamo-pituitaire-adrénale (HPA), ayant un rôle dans la libération du cortisole11. Le toucher affectueux diminue l’expression génétique des récepteurs glucocorticoïdes (RG), au niveau du nombre des ports de réception, ce qui modifie d’une manière sensible la réaction de réponse au stress12. Dans ce dernier résultat on fait ressortir des effets épigénétiques qui existent dans le plan physiologique et comportemental. Le toucher affectueux d’une mère sur son enfant a un rôle clé dans la croissance du niveau d’oxytocine et de vasopressine, avec des implications neuropsychologiques (croissance du sentiment de sécurité, de la disposition pour la connectivité sociale, amélioration de la réponse immunitaire et de l’état général de santé13.

Pendant les dernières décennies, de nombreuses études ont fait ressortir, par exemple, des mutations dans la configuration des relations interpersonnelles, qui présentent de nombreuses conséquences même de nos jours. Dans un monde où les parents sont de plus pris par leur profession, les enfants et les jeunes vivent des expériences interpersonnelles de plus en plus pauvres, même dans leurs familles, et cette situation a de nombreux effets. Depuis plus de vingt ans, la médecine comportementale a montré que l’attachement et la chaleur des relations familiales influence la santé, les dispositions et la manière de se rapporter à la vie.14

Àce propos sont aussi pertinents les résultats qui montrent les effets de la compassion, du comportement altruiste, ou ceux que présentent les relations interpersonnelles de qualité sur l’état de bien-être. De nombreuses études récentes montrent que l’implication dans des activités de volontariat améliore l’état général de santé15, baisse le risque de la mortalité, si l’activité se déroule d’une manière désintéressée16, diminue le rythme de perte de poids et la fragilité, et combat l’épuisement, la marche lente et le niveau bas d’activité physique17.

Plus généralement, le sentiment de sécurité tout comme l’appartenance à une communauté caractérisée par la cohésion et l’unité spirituelle sont des aspects qui peuvent améliorer d’une manière significative la santé mentale chez les habitants18. En même temps, les études montrent que dans le milieu naturel l’homme peut se refaire au niveau psychophysique, peut réduire sensiblement le stress et la fatigue mentale souvent d’une manière plus efficace que les produits de loisirs offerts par la ville bruyante. Certaines recherches montrent que le fait de passer quelques heures dans un milieu naturel, au milieu de la nature19 peut diminuer sensiblement le stress, réduire la fatigue mentale et contribuer même à améliorer certains paramètres physiologiques de notre organisme20.

La vérité est une personne. La vie plénière est sa vie, et l’accomplissement de ma vie est en elle.

Dans une perspective chrétienne, on doit mentionner que le but de la vie de celui qui cherche l’édification ne relève pas essentiellement de cette vie. Le but des efforts et de l’attention, dans la spiritualité chrétienne, ne vise pas une réorganisation ample de cette vie, par la cultivation des vertus, mais le fait d’acquérir une vie nouvelle, qui jaillit de la Vie d’une Personne, le Christ-Homme, Celui qui Se donne Lui-même à l’humanité et à chaque personne en particulier. « Aimer la sagesse veut dire aimer Dieu, la Sagesse qui a le visage d’une Personne, la Sagesse hypostasiée ou hypostatique. Seule une Personne concentre en elle la sagesse infinie, vivante et active, aimante et bienfaisante. Seulement une telle Sagesse peut être aimée comme un ami, parce qu’à son tour elle vous aime en tant qu’ami. Son amitié dépasse toute amitié, mais aussi notre amitié envers elle. Elle est la source de toute notre sagesse et de notre amitié »21.

Ceci montre la spécificité du travail intérieur et le but de l’ascèse et des expériences mystiques, telles qu’on les comprend dans l’espace chrétien. Nous avons affaire à un caractère ecclésial de la mystique qui s’identifie à son caractère christocentrique : « Même celui qui s’est élevé à l’état d’esprit pur et de contemplation continue de se situer dans le cadre hiérarchique de l’Église dans le sens large et n’est pas passé outre le Christ et les Sacrements »22 .

Dans l’espace chrétien on affirme fermement que la Vérité est une Personne. Et de là viennent toutes les autres différences. Ce que l’amateur de sagesse de l’espace grec cherchait à accomplir par ses recherches visant à faire de la philosophie son mode de vie même, le chrétien l’accomplit en Dieu. Le saint entend unir toute sa connaissance avec sa vie, par la connaissance de Dieu – Qui est la source de vie, et par le fait de vivre en Christ – Son Fils, Celui qui a dit de Lui-même qu’Il était la Vie. Par conséquent, pour les chrétiens, la philosophie qui doit devenir un mode de vie est la Personne-même du Fils, Dieu et Homme parfait, Ressuscité, et la vie concrète de cette Personne.

Dans une perspective théologique, au commencement du monde, l’Esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux (Genèse 1, 2). Lors de l’Incarnation du Fils en tant qu’homme, tout l’être humain a été compris en Lui, et tout le cosmos est récapitulé dans Son Corps humain. L’Esprit de Dieu, qui depuis l’éternité procède du Père et repose dans le Fils, repose maintenant, après l’Incarnation du Fils en tant qu’homme, et après Sa Résurrection, aussi dans Son Corps et Son Âme humaine, et peut œuvrer cela dans tout l’être humain, dans la vie de tous les hommes et dans toute la Création.

C’est pourquoi vivre la spiritualité chrétienne s’avère actuel. L’authenticité et la valeur édificatrices se vérifient par le fait qu’elles ne visent pas seulement un souci pour soi-même, mais aussi une ouverture aimante et compréhensive envers tous les semblables et envers toute la Création, en ne situant rien de tout ce qui a été créé en dehors de l’œuvre de Dieu.

C’est de la possibilité d’un tel souci pour le travail intérieur que nous avons besoin aujourd’hui, celui qui peut offrir la voie de récupération de la profondeur réflexive du sujet, et qui peut offrir le parcours vers l’instauration d’une harmonie bénéfique, thérapeutique et édificatrice dans l’homme, entre ses puissances (sensibilité, affectivité, raison, volonté). C’est d’une accolade aimante, comme celle que poursuit le christianisme philocalique, que nous avons besoin aujourd’hui, qui témoigne de la foi puissante que dans tout ce qui a été créé et dans la vie de tous les semblables se cache la sollicitude de Dieu. Dans des efforts de ce genre on peut aussi trouver les désidératas de compassion et d’entraide dont on a tellement besoin de nos jours. Enfin, c’est de cette ouverture généreuse que nous devons faire preuve aujourd’hui, non seulement en paroles, mais par notre manière même de vivre, au jour le jour, en rapport avec chacun de nos semblables et avec tout le monde, car ils ont aussi besoin de notre sollicitude aimante et libérée des passions.

Diacre Adrian Sorin Mihalache

Notes :


1Ibidem, p. 85.
2. Pr. Dumitru Stăniloae, Teologie Dogmatică Ortodoxă [Théologie Dogmatique Orthodoxe], Éditions I.B.M.B.O.R., Bucarest, 1996, p. 261.
3. « Ce que tu fais, te fera », disait dans une parole concentrée le vénérable père de bienheureuse mémoire Teofil Părăian!
4. Cf. Amit Bhattacharjee et Cassie Mogilner, ”Happines from Ordinary and Extroordinary Experiences, in  Journal of Consumer Research, vol. 41, n° 1, juin 2014, pp. 1-17, disponible en ligne à https://www.researchgate.net/publication/263081239_Happiness_from_Ordinary_and_Extraordinary_Experiences.
5. Cf. Elizabeth W. Dunn, ”Spending Money on Others Promotes Happiness”, inScience, vol. 319, ° 5870, 21 mars 2008, pp. 1687-1688.
6. Cf. R. Veenhoven, “Healthy happiness: effects of happiness on physical health and the consequences for preventive health care”, in Journal of Happiness Studies, vol. 9, n° 3, septembre 2006, pp 449-469.
7. Cf. Lara. B. Aknin et al, “Does social connection turn good deeds into good feelings? On the value of putting the ‘social’ in prosocial spending”, in International Journal of Happiness and Development, vol. 1, n° 2, 2013, pp.155-171.
8. Cf. Elizabeth W. Dunn, art, cit.
9. Cf. World Happiness Report 2013, John Helliwell, Richard Layard et Jeffrey Sachs (ed.), p. 39.
10. Cf. Mark Holder et. all., “Spirituality, Religiousness and Happiness in Children Aged 8-12 Years”, in Journal of Happiness Studies,vol. 11, n° 2, avril 2010, pp 131-150.
11. Cf. M.I. Meaney et. all., ”Neonatal Handling Alters Adrenocortical Negative feed back Sensitivity in Hippocampal Type II Glococorticoid Receptor Binding in Rat”, in Neuroendocrinology, n°50, 1989, pp. 597-604.
12. Cf. Helen M. Sharp et. all., ”Freq-uency of Infant Stroking Reported by Mothers Moderates the Effect of Prenatal Depression on Infant Behavioural and Physiological Outcomes”, in PloS ONE vol. 7, n° 10, octobre 15, 2012, e45446.
13. Cf. A. B. Fries, T E. Yiegler et. all., ”Early Experience in Humans is associated with Changes in Neuopeptides Critical for Regulating Social Behavior”, in Proceedings of The National Academy of Sciences, vol. 102,novembre 2005, pp. 17237-17240.
14. Cf. Dr. Dean Ornish, Dragoste şi supravieţuire [Amour et Survie], Ed. Curtea Veche, Bucarest, 2008.
15. Cf. Faiza Tabassum et al, ”Association of volunteering with mental well-being: a lifecourse analysis of a national population-based longitudinal study in the UK”, in BMJ Open, vol. 6, n° 8,  8 août 2016, e01132, doi: 10.1136/bmjopen-2016-011327.
16. Cf.Sara Konrath et al, ”Motives for volunteering are associated with mortality risk in older adults”, in Health Psychology, vol. 31, n° 1, janvier 2012, pp. 87-96, doi: 10.1037/a0025226.
17. Cf. Yunkyung Jung et. all, Productive Activities and Development of Frailty in Older Adults, in Journal of Gerontology: Social Sciences, vol. 65B, n°2, 16 decembre 2009, pp. 256–261, doi:10.1093/geronb/gbp105.
18. Cf. C. E. Depner et Igerrsoll Dayton, ”Supportive relationships in later life”, in Psychology and Aging, 1998, vol. 3, pp. 348-357.
19. Cf. Health Council of the Netherlands, (2004), ”Nature and health. The influence of nature on social psichological and physical well-being”, in Publication, n° 2004/09.
20. Cf. Agnes E. van den Berg, et al., ”Preference for Nature in Urbanized Societies: Stress, Restoration, and the Pursuit of Sustainability”, in rev. Journal of Social, vol. 63, n° 1, 2007, pp. 79-96.
21. Pr. Dumitru Stăniloae, note 82 dans Saint Grégoire le Sinaïte, op. cit., in vol. cit., p. 151.
22. Pr. Dumitru Stăniloae, Ascetica şi mistica creştină sau teologia vieţii spirituale [L’ascétique et la mystique chrétienne ou la théologie de la vie spirituelle], Casa Cărţii de Ştiinţă, 1993, p. 49.

Les dernières Nouvelles
mises-à-jour deux fois par semaine

Publication de la Métropole Orthodoxe Roumaine d'Europe Occidentale et Méridionale

Publication de la Métropole Orthodoxe Roumaine d'Europe Occidentale et Méridionale

Le site internet www.apostolia.eu est financé par le gouvernement roumain, par le Departement pour les roumains à l'étranger

Conținutul acestui website nu reprezintă poziția oficială a Departamentului pentru Românii de Pretutindeni

Departamentul pentru rom창nii de pretutindeni