Ajouté le: 20 Mars 2023 L'heure: 15:14

La lourde croix de l’épiscopat

Les affrontements

On dirait de l’évêque comme d’un pilote qui aurait reçu des pirates à bord de son navire, lesquels, durant toute la traversée, épieraient l’occasion favorable pour le tuer, lui, les matelots et les passagers. S’il aime mieux plaire à ces hommes que de sauver son âme, et qu’il admette ceux qu’il faudrait repousser, c’est Dieu lui-même, au lieu de ces hommes qu’il aura pour ennemi. Quelle situation plus embarrassante ? Sa position, vis-à-vis des méchants, devient encore plus critique qu’auparavant, parce qu’ils agissent ensemble, et que ce concert augmente leurs forces. Lorsque des vents violents viennent à souffler dans des directions contraires et à se combattre, la mer, tranquille jusque-là, devient tout à coup furieuse, soulève ses flots et engloutit les navigateurs ; ainsi lorsque l’Église a admis dans son sein des hommes pervers, son calme se change en une tempête qui la couvre de naufrages.

La lourde croix  de l’épiscopat

Outre l’envie, il y a encore une autre passion plus violente, qui arme beaucoup d’hommes contre un évêque, c’est la convoitise qu’excite cette dignité. Comme il y a des fils ambitieux qu’afflige la longue vie de leurs pères, il y a aussi des hommes à qui la durée d’un long règne épiscopal cause une impatience extraordinaire. N’osant pas attenter aux jours du titulaire, ils travaillent à sa déposition avec d’autant plus d’ardeur que chacun aspire à le remplacer, que chacun espère que le choix tombera sur lui.

Le soin des veuves

La classe des veuves, forte de sa pauvreté, de son âge, de son sexe, use volontiers d’une liberté de langue assez peu limitée, pour ne rien dire de plus. Elles crient à contre-temps, elles accusent à tort et à travers, elles se plaignent quand elles devraient exprimer leur reconnaissance, elles blâment quand il conviendrait d’approuver. Il faut que l’évêque ait le courage de tout supporter : leurs clameurs importunes, ni leurs plaintes indiscrètes, rien ne doit exciter sa colère. Leurs misères sont plus dignes de compassion que de reproche : insulter à leurs infortunes, ajouter aux amertumes de la pauvreté, celles de l’affront serait de la dernière barbarie. C’est pourquoi le Sage, considérant d’un côté l’avariée et l’orgueil naturels à l’homme, sachant d’un autre côté combien la pauvreté est capable d’abattre l’âme la plus noble, et de conseiller une importunité effrontée, ne veut pas que celui qui est en butte à ces ennuyeuses sollicitations, s’en mette en colère. En s’irritant contre les pauvres à cause de l’assiduité de leurs demandes, il s’exposerait à devenir leur ennemi, au lieu d’être leur consolateur comme il le doit. Le Sage lui recommande donc de se montrer affable et d’un abord facile. « Incline sans humeur ton oreille vers le pauvre, réponds-lui avec douceur des paroles de paix » (Si 4, 8). 

Il faut donc qu’un administrateur ait assez de patience pour ne pas accroître leur douleur par ses violences, pour calmer en grande partie leur affliction par des paroles de consolation. Le pauvre que l’on insulte est peu touché de l’aumône qu’on lui donne, si abondante qu’elle soit ; le secours en argent ne compense pas la blessure faite à l’amour-propre. Au contraire celui qui entend une bonne parole, qui reçoit une consolation en même temps qu’une aumône, éprouve une joie, une satisfaction bien plus grande. La manière de donner a doublé le don. Ce que je dis là n’est pas de moi, mais de celui qui nous exhortait tout à l’heure : « Mon fils, dit-il, ne mêle point les reproches au bien que tu fais, n’accompagne point les dons de paroles affligeantes : La rosée ne rafraîchit-elle point la trop grande chaleur ? une douce parole vaut mieux que le don. Oui, une seule parole est meilleure que l’offrande ; et tous les deux se trouvent dans l’homme charitable » (Si 18, 15-17).

Le soin des vierges

Quand il s’agit du soin qu’on prend des vierges, la crainte est d’autant plus grande que le dépôt est plus précieux et que leur troupe, plus que les autres, a les faveurs du roi ; récemment, en effet, dans ce chœur de saintes personnes, bien des femmes qui sont pourvues de bien des défauts ont fait irruption ; mais ici la douleur est beaucoup plus grande. De même qu’il n’y a pas de commune mesure entre la faute de la jeune fille de race noble et celle de sa servante, de même quand il s’agit d’une vierge et d’une veuve. Que celles-ci se livrent aux bavardages, aux disputes mutuelles, aux flatteries, aux propos impudents, qu’elles se fassent voir partout, qu’elles aillent et viennent sur l’agora, cela n’a pas d’importance ; mais une vierge s’est préparée à de plus rudes combats, elle a choisi la philosophie d’en-haut, elle fait profession de montrer sur la terre comment vivent les anges et, tout en étant dans la chair, elle se propose d’imiter les vertus des puissances incorporelles. Elle ne doit ni faire des allées et venues inutiles et nombreuses, ni prononcer des paroles au hasard et sans raison ; il ne faut même pas qu’elle connaisse les mots d’injure et de flatterie.

C’est pourquoi il est besoin d’une surveillance très étroite et d’une assistance plus grande. En effet, alors que l’ennemi de la sainteté les menace sans cesse et les assiège plus que d’autres, prêt à les dévorer si l’une glisse et tombe, il y a aussi bien des hommes pour leur tendre des pièges et, en plus de tous ces dangers, la folie inhérente à la nature ; à cette double guerre, celle qui l’attaque de l’extérieur, celle qui la trouble de l’intérieur, elle doit faire face. Aussi pour celui qui en est chargé grande est la crainte, mais plus grands encore sont le danger et le chagrin s’il arrive – et puisse cela ne pas arriver – quelque chose qu’il ne voulait pas. En effet, si « une jeune fille est pour son père un secret sujet d’insomnie, si le souci qu’il a d’elle l’empêche de dormir » (Si 42, 9), parce qu’il craint tellement qu’elle ne puisse avoir d’enfant ou qu’elle reste pour compte ou que son mari ne l’aime pas, qu’éprouvera celui qui n’a aucun de ces soucis, mais d’autres beaucoup plus grands ? Ici, ce n’est plus un homme qui la repousse, mais le Christ lui-même, ce n’est plus d’être stérile qu’on lui reproche, mais ce qu’on redoute aboutit à la perte de l’âme.

Le troupeau

La juridiction est pour l’évêque une source de contrariétés sans nombre, elle lui impose un travail infini, elle est hérissée de plus de difficultés que n’en rencontrent les juges séculiers. Trouver le droit est chose difficile, ne pas le violer quand on l’a trouvé, chose plus difficile encore. C’est une œuvre laborieuse, et j’ajouterai, périlleuse. On a vu des chrétiens faibles renoncer à la foi, à la suite de quelque affaire malheureuse dans laquelle toute protection leur avait manqué ; car ceux qui ont à se plaindre d’une injustice, poursuivent d’une haine égale et l’offenseur et celui qui refuse de les défendre. Ils ne veulent avoir égard ni à la complication des affaires, ni à la difficulté des circonstances, ni à la limite assez restreinte de la puissance sacerdotale, ni à rien au monde. Juges inexorables dans leur propre cause, ils ne comprennent qu’une espèce de justification : qu’on les délivre des maux qui les accablent. Si tu ne peux leur procurer cette délivrance, tu auras beau leur donner toutes les raisons imaginables, tu n’échapperas pas à la condamnation.

Si chaque jour l’évêque ne va point courir de maison en maison avec plus d’assiduité que ceux qui n’ont pas autre chose à faire, il y a une infinité de gens qui s’en offensent. Non seulement les malades, mais aussi ceux qui se portent bien veulent avoir la visite de leur évêque ; encore si c’était la religion qui leur inspirât ce désir ! mais non, c’est simplement un honneur, une distinction dont ils sont jaloux. Si par malheur il se trouve un riche, un homme puissant à qui il rende de plus fréquentes visites qu’aux autres dans l’intérêt même et pour le bien commun de l’Église, aussitôt on le flétrit des noms de flatteur et de courtisan.

Mais pourquoi parler de protections et de visites ? Il ne faut qu’un simple salut pour attirer à l’évêque une masse de plaintes, au point d’en être souvent accablé et de succomber au chagrin. On lui demande compte même d’un regard. Ses actions les plus simples passent par la balance de la critique ; on note le ton de sa voix, les mouvements de ses yeux, jusqu’à son sourire : comme il a souri gracieusement à un tel, comme il l’a salué à haute voix et avec un visage ouvert ! Moi, à peine m’a-t-il adressé la parole, et seulement par manière d’acquit.

Parlerai-je de tout ce qu’il en coûte à un évêque, quand il se trouve réduit à l’affligeante nécessité de retrancher quelqu’un de la communion de l’Église ? Encore si dans ce cas l’on n’avait à déplorer que la douleur de l’évêque ; mais quel affreux malheur ! et combien l’on doit craindre que le coupable, exaspéré par une punition trop sévère, ne soit poussé à l’extrémité dont parle l’apôtre saint Paul, et qu’il « ne soit accablé par l’excès de sa tristesse » (2 Co 2, 7).

Que n’aurait-on pas à dire des contentions et des disputes qui s’élèvent entre les fidèles ? Non moindres que les attaques du dehors, elles donnent encore plus de peine à celui qui enseigne. Les uns poussés par un excès de curiosité, s’occupent, sans raison et par pure fantaisie, de questions impossibles à résoudre, et dont la solution ne mène à rien d’utile. Les autres demandent compte à Dieu de ses jugements ; ils voudraient mesurer l’abîme sans fond de ses conseils : « Vos jugements, dit le Prophète, sont un abîme infini » (Ps 32, 7). Bien peu s’appliquent à connaître les dogmes de la foi et la règle des mœurs : beaucoup perdent leur temps à étudier ce qu’ils ne connaîtront jamais, et dont la recherche même offense Dieu. Vouloir absolument pénétrer ce que Dieu nous interdit de savoir, efforts inutiles (qui pourrait faire violence à Dieu !) efforts coupables et dangereux. Et cependant, si l’on a recours à l’autorité pour réprimer ces chercheurs indiscrets de choses introuvables, on s’attire la réputation d’un orgueilleux et d’un ignorant. Voilà donc encore un point qui exige de la part d’un évêque une grande prudence, tant pour éloigner les esprits de questions oiseuses et absurdes, que pour éviter des accusations fâcheuses.

Contre tant de difficultés il a pour toute arme la parole, rien que la parole. S’il en est dépourvu, les âmes, dont le gouvernement lui est confié, surtout les âmes faibles et travaillées d’un excès de curiosité, seront dans une continuelle agitation, comme le vaisseau battu de la tempête : que ne doit donc pas faire le prêtre pour acquérir le talent de la parole ?

Saint Jean Chrysostome,
Traité du sacerdoce, 3, 11-3, 14 & 4, 5,
Bar-le-Duc, L. Guérin & Cie, éditeurs, 1864

La lourde croix de l’épiscopat

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