Ajouté le: 20 Janvier 2022 L'heure: 15:14

Le 29 de ce mois, nous célébrons la mémoire de notre vénérable Père théophore Jean Cassie et de Germain, son compagnon d’ascèse

Notre Père Jean Cassien, destiné par Dieu à apporter à l’Occident les lumières du monachisme oriental, naquit par un heureux effet de la Providence, aux confins des deux mondes, en Scythie Mineure, dans la région des bouches du Danube (l’actuelle Dobroudja en Roumanie), vers 365. Issu d’une famille distinguée, il suivit avec succès le cours des études classiques. Mais comme il était altéré d’une soif ardente pour la perfection, il renonça encore jeune aux attraits trompeurs de la vie mondaine pour se rendre en Terre Sainte, en compagnie de son ami Germain1, son « frère, non par la naissance, mais en esprit », et ils devinrent moines dans un monastère de Bethléem2.

Après avoir été initiés aux rudiments de la vie cénobitique et s’être informés sur le mode de vie des moines de Palestine, de Mésopotamie et de Cappadoce, ressentant en eux-mêmes le désir d’une plus grande perfection, ils résolurent de partir pour les déserts d’Égypte, auprès des anachorètes dont ils avaient entendu vanter les exploits par saint Pinuphe [27 nov.] qui s’était réfugié dans leur monastère pour fuir la bonne renommée. Le supérieur du monastère leur accorda avec quelques réticences sa bénédiction, en leur faisant promettre de revenir promptement. Ayant admiré l’ordre et le mode de vie des communautés cénobitiques du Delta du Nil, Jean et Germain s’enfoncèrent dans le désert. Partout où ils passaient, ils recherchaient avec avidité les saints solitaires, afin de vénérer en eux la splendeur de la grâce et la variété de ses fruits, et pour les interroger longuement sur la science de l’âme3.

Réalisant que pour assimiler leur céleste enseignement, il leur faudrait prolonger leur séjour pour partager la vie de ces serviteurs de Dieu et embarrassés par leur promesse, les deux voyageurs soumirent leur problème à l’abbé Joseph qui, au terme d’une nuit de veille, les assura qu’il leur serait plus avantageux de rester en Égypte, sans se soucier d’un engagement pris avec témérité. Rassurés par l’Ancien, ils restèrent donc sept années en Égypte, poursuivant avec zèle leur enquête spirituelle. De lieu en lieu, ils parvinrent jusqu’au fameux désert de Scété, fondé par saint Macaire, « le désert glorieux, digne d’être célébré entre tous »4, où luttait dans l’ascèse un grand nombre de moines, parmi lesquels s’illustraient en particulier les saints Abbas Moïse, Sérapion, Théonas, Isaac et le prêtre Paphnuce. Ce dernier les édifia grandement quand il leur dit qu’il ne suffit pas au moine de renoncer corporellement au monde en se dépouillant de ses biens pour s’adonner au soin de son âme dans l’ascèse et le silence, mais qu’il faut accomplir aussi le « second renoncement », qui consiste à se dépouiller de ses habitudes d’autrefois et de ses passions, par une lutte longue et patiente, pleine d’embûches, mais qui conduit à la pureté du cœur. Tel est le but du moine : s’entretenir sans cesse avec Dieu par la prière continuelle que l’intelligence, non dispersée dans les soucis du monde, élève avec tranquillité et paix dans le sanctuaire purifié du cœur. Et la fin de son œuvre, c’est la vie éternelle, l’union avec Dieu, dont on peut déjà, ici-bas, acquérir les arrhes par la sainte charité. En effet, parvenu au terme du « second renoncement », et l’âme toute tendue vers le seul désirable, le moine doit encore accomplir le « troisième renoncement », qui renferme toute perfection et consiste à bannir tout souvenir de ce monde pour se laisser emporter par Dieu vers les demeures éternelles, dans un sentiment de joie ineffable et un flot de lumière divine5.

« Alors, l’amour parfait de Dieu passant en notre cœur par la vertu de la prière pure, sans forme ni parole, Dieu sera tout notre amour et tout notre désir, toute notre recherche et l’âme de tous nos efforts, toute notre pensée, notre vie, notre discours et notre respiration même. L’unité qui existe du Père avec le Fils et du Fils avec le Père s’écoulera dans l’intime de notre âme, et de même que Dieu nous aime d’une charité vraie et pure, et qui ne meurt point, nous Lui serons unis par l’indissoluble lien d’une charité sans défaillance… Ce sera, autant qu’il est possible sur la terre, l’accomplissement de la parole de l’Apôtre : Dieu, tout en tous, et devenus pleinement fils par une communication si parfaite du Père, nous pourrons dire, à l’imitation de Celui qui est Fils et héritier par nature : « Tout ce qu’a le Père est à moi » (Jn 16, 15). Tel est le terme de toute perfection : que l’âme soit à ce point délestée des pesanteurs charnelles, qu’elle monte chaque jour vers les sublimités des réalités spirituelles, jusqu’à ce que toute sa vie, tout le mouvement du cœur deviennent une prière unique et ininterrompue… Cette prière ne s’occupe à la considération d’aucune image, davantage, elle ne s’exprime point par la parole ni avec des mots ; mais elle jaillit dans un élan tout de feu, un ineffable transport du cœur, une joie impétueuse de l’esprit. Ravie hors des sens et de tout le visible, c’est alors par des gémissements inénarrables et des soupirs que l’âme s’épanche vers Dieu »6.

Ainsi instruits des cimes de la vie monastique et contemplant leur vivante réalisation chez ces illustres anachorètes, les deux amis s’adonnèrent avec une grande rigueur à la vie contemplative pendant ces années passées à Scété. Dans le silence de sa cellule, saint Cassien put éprouver lui-même l’âpre combat de l’âme éprise de Dieu contre les pensées passionnées et contre les démons jaloux, en particulier contre la tentation de l’acédie (« ennui ») qui tourmente les ermites en vue de leur faire quitter leur retraite. De cette expérience personnelle et de l’enseignement du grand Évagre7, qu’il rencontra à Nitrie, il tira une fine doctrine du combat spirituel et des huit passions fondamentales : la gourmandise, la fornication, l’avarice, la colère, la tristesse, l’acédie, la vaine gloire et l’orgueil8.

Sept années ayant passé, Jean et Germain regagnèrent Bethléem, où ils obtinrent de leur supérieur la permission de vivre désormais définitivement dans le désert, et ils retournèrent avec empressement en Égypte. Mais ils ne purent y retrouver la quiétude nécessaire à la contemplation, car l’ardeur véhémente de l’archevêque Théophile d’Alexandrie contre les moines taxés d’origénisme avait partout semé le trouble et l’effroi, si bien qu’un groupe de trois cents moines finit par s’enfuir de Nitrie. Jean et Germain suivirent une cinquantaine d’entre eux qui avaient décidé de chercher refuge à Constantinople, à l’ombre du grand saint Jean Chrysostome (vers 401). Dès qu’il les vit, discernant d’un regard infaillible la qualité de leurs âmes, le saint archevêque réussit à convaincre Germain de recevoir de ses mains la prêtrise et Cassien le diaconat. Conquis par l’éclat de la sainteté de saint Chrysostome et par sa sublime éloquence, Cassien se plaça avec ferveur sous sa direction spirituelle, acceptant de sacrifier la quiétude du désert pour tirer profit de la présence d’un tel maître. Mais peu de temps après, saint Jean Chrysostome, victime de la vindicte de Théophile9, ayant été envoyé en exil, Cassien et Germain furent envoyés en mission à Rome, en compagnie de l’évêque Pallade10, par le clergé et le peuple, pour transmettre au pape Innocent Ier une lettre d’appel en faveur du saint archevêque injustement déposé (405).

Au cours de son séjour d’une dizaine d’années à Rome, saint Cassien se lia d’une étroite et durable amitié avec l’archidiacre et futur pape Léon [18 févr.] qui, par la suite, confiant en ses connaissances théologiques, lui demanda de rédiger un exposé du dogme de l’Incarnation contre Nestorius11. Étant retourné en Orient12, il y rencontra deux évêques gaulois en exil : Héros, évêque d’Arles et Lazare, évêque d’Aix, tous deux disciples de saint Martin [11 nov.]. Après la mort de son compagnon, Lazare convainquit Cassien de le suivre à Marseille, où l’évêque Proculus leur fit bon accueil et permit à Cassien de fonder pour les moines le monastère de Saint-Victor, sur le tombeau d’un martyr du iiie siècle, et pour les vierges celui du Saint-Sauveur (416). En ascète éprouvé et en père plein de discernement pastoral, il adopta pour les moines qui s’y empressaient l’authentique tradition qu’il avait reçue des Pères d’Orient, en tenant compte des conditions de vie propres à la Gaule, du climat et du caractère de ses habitants. Puis, à la requête de saint Castor, évêque d’Apt, il rédigea ses Institutions Cénobitiques pour les monastères que celui-ci avait fondés en Provence13. Il y décrit le mode de vie des moines d’Égypte, en modérant ce qu’il y avait de trop rigoureux pour les moines gaulois à l’aide des institutions en vigueur en Palestine, en Cappadoce et en Mésopotamie. Car, écrit-il : « Si l’on pratique ce qui est raisonnablement possible, l’observance est également parfaite, même avec des moyens inégaux ». Il décrit ensuite les remèdes aux huit passions fondamentales, qui conduisent l’âme à la perfection de la vertu. Par la suite, il compléta cet enseignement spirituel par ses Conférences, dans lesquelles il expose, à l’intention des ermites qui vivaient à Lérins et sur les îles d’Hyères, les étapes supérieures du combat pour la pureté du cœur et la contemplation, en prêtant son enseignement aux grands anachorètes qu’il avait rencontrés en Égypte. Saint Cassien donna ainsi au monachisme gaulois naissant son armature doctrinale, en l’abreuvant aux sources vivifiantes des Pères du Désert14.

En disciple fidèle des grands docteurs cappadociens et de saint Jean Chrysostome, saint Jean Cassien s’éleva alors contre la séparation excessive que saint Augustin avait établie entre la nature humaine et la grâce, en vue de lutter contre l’hérésie pélagienne. En effet, bien que tout don excellent et toute grâce viennent de Dieu, le Père des Lumières (Jc 1, 17), la liberté humaine, créée à l’image de la liberté absolue de Dieu et renouvelée par le saint baptême, est appelée à répondre et à collaborer (synergie) avec la grâce divine pour produire en l’âme les fruits salutaires des saintes vertus, à tel point qu’on peut dire avec saint Jean Chrysostome que : « L’œuvre de Dieu est de donner la grâce, celle de l’homme de présenter la foi »15. Les partisans extrémistes de saint Augustin réagirent violemment contre cette doctrine des moines provençaux – qui n’était que l’expression de l’enseignement traditionnel des Pères grecs – et accusèrent saint Cassien de la prétendue hérésie « semi-pélagienne »16. Ennemi du bruit et de la dispute, le saint ascète, « ayant appris, dans l’intimité de la contemplation divine, le secret d’une paix constante et douce, et d’une sérénité tranquille », se tint en silence, sans chercher à se justifier. Il remit en paix son âme à Dieu, vers 435. Considéré comme un saint par ses contemporains, il est vénéré par tous les moines d’Occident comme leur Père et l’un de leurs plus grands docteurs. Ses précieuses reliques sont gardées jusqu’à nos jours à l’abbaye Saint-Victor de Marseille17.

Extrait du livre « Le Synaxaire, Vie des Saints de l’Église Orthodoxe », par le Hiéromoine Macaire de Simonos Pétra - Tome 1 - Éd. Indiktos

Notes :

1. Les années non-bissextiles, les saints de ce jour sont commémorés le jour précédent. S. Germain a été canonisé par le Patriarcat de Roumanie en 1992.
2. Avant la fondation du monastère de S. Jérôme [30 sept.].
3. Ce sont ces Conférences que, sur sa vieillesse, S. Jean Cassien mit par écrit à l’intention des moines de Provence, en y insérant sa synthèse doctrinale personnelle.
4Conférence XVIII, 7, SC 64, 28.
5. Sur les trois renoncements voir Conférences III, 6-10, SC 54, 145-155.
6Conférences X, 7, SC 54, 81-82.
7. Évagre le Pontique († 399 ), condamné par le ve Concile Œcuménique pour son origénisme en matière théologique, est resté néanmoins le grand maître de la science de l’âme. Sa doctrine spirituelle, transmise sous des noms d’emprunt (comme celui de S. Nil), a été assimilée et dûment corrigée par les Pères orthodoxes, en particulier S. Maxime le Confesseur.
8Institutions Cénobitiques V-XII, SC 109, 186-501 et Conférences V, SC 42, 188-217.
9. Sur ces événements, voir la notice du 13 nov.
10. Ami et chroniqueur des saints moines (il est l’auteur de l’Histoire Lausiaque), Pallade (363-430) fut aussi disciple et biographe de S. Jean Chrysostome.
11. Le De Incarnatione Domini contra Nestorium (PL 50, 9-513) qui servit de source à la Lettre de S. Léon à S. Flavien (Tome de Léon).
12. Selon certains historiens, il aurait été élevé au sacerdoce à Antioche, vers 413, mais n’aurait pu y rester longtemps.
13. Les Institutions Cénobitiques de S. Cassien ont été partiellement transmises en grec sous le nom de S. Athanase (PG 28 849-872 et 872-905), textes qui se trouvent sous son nom dans la Philocalie, t. 1, Paris 1995, p. 113-142.
14. Intégrés dans la Règle de saint Benoît, qui témoigne éloquemment de ce qu’il lui doit (chap. 33), la doctrine et les usages exposés par S. Cassien devinrent part entière de la tradition monastique d’Occident.
15Homélies sur S. Jean X, 3, PG, 59, 76. Sur cette question voir aussi J. Meyendorff, Le Christ dans la théologie byzantine, Paris 1969, p. 170.
16. Cette accusation calomnieuse, expression de la différence de milieu culturel et de problématique théologique entre l’Orient et l’Occident, préparait de loin la tragique rupture du xie siècle. Elle a été malheureusement souvent reprise jusqu’à aujourd’hui par les érudits occidentaux qui ont étudié la doctrine de S. Cassien avec leurs préjugés.
17. En Occident, sa commémoration liturgique est cependant restée localisée au diocèse de Marseille. Peut-être à cause de l’augustinisme devenu doctrine officielle de l’Église Catholique Romaine ?

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